La Hanse de Saint-Omer

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Le terme de « hanse » désignait au Moyen Âge une association marchande. Ce mot est resté essentiellement attaché dans nos mémoires à la Ligue hanséatique (Lübeck, Hambourg et plusieurs autres villes de la Baltique), qui fut sans conteste la plus puissante et la plus durable de ces organisations.

Cela ne doit pas faire oublier qu’il a existé d’autres hanses, qui ont joué un rôle majeur dans le commerce et la puissance économique de plusieurs cités du nord de l’Europe : la hanse flamande de Londres, la hanse des XVII villes, etc.

La ville de Saint-Omer, située au carrefour de la Flandre, de la France et de l’Angleterre, ne fait pas figure d’exception.

Déjà, au XIIe siècle, une charte de Henri II, roi d’Angleterre, a mis les bourgeois de Saint-Omer sur le même rang que les habitants de Bruges et de Gand pour le commerce avec Londres.

Dans les dernières décennies du XIIe siècle, alors que se mettait également en place l’administration échevinale (l’ancienne Ghilde cédant la place à la commune pour l’administration politique de la cité), certains bourgeois de Saint-Omer eurent l’idée de se réunir en corporation, à l’image de ce qui existait déjà dans d’autres villes flamandes.

La Hanse de Saint-Omer était née.

Quelle est sa date de fondation exacte ? Le plus ancien registre des membres de la Hanse remonte à l’année 1244 (avec mention rétroactive de tous ses membres depuis l’origine), et la rédaction de son règlement à l’année 1251. En comparant la liste des premiers membres de la Hanse avec d’autres sources (marchands audomarois connus en Angleterre, liste des échevins de Saint-Omer), l’historien Alain Derville estime que la Hanse a été fondée vers 1216.

Au moment de sa fondation, la Hanse regroupait environ 140 noms, chiffre très faible comparé à l’importante population de Saint-Omer (estimée à 35 000 âmes en 1300 !), et même par rapport au nombre de bourgeois. La moyenne annuelle des réceptions est de 18 avant 1263, un peu moins les années suivantes en raison d’une hausse du droit d’entrée à 10 marcs, puis environ 13 par an de 1312 à 1368.

En effet, même si elle ne fut pas uniquement l’affaire d’un nombre limité de patriciens richissimes ou de puissants lignages, la Hanse était une organisation élitiste, qui ne réunissait qu’une minorité de marchands, auxquels elle réservait le monopole du commerce vers les îles britanniques (Angleterre, Ecosse, Irlande) et au sud de la Somme. En revanche, le commerce vers l’Empire et les foires de Flandre échappait à l’obligation de s’y affilier.

Outre un droit d’entrée significatif, le règlement de la Hanse exigeait de ses membres de renoncer à tout travail manuel, courtage, et vente au détail de marchandises, sous peine de sanction. Les registres mentionnent effectivement plusieurs exclusions. Aucun artisan, courtier ou détaillant donc, la Hanse est affaire de « grands marchands » ou de « patriciens » (pour emprunter les mots de C. Wyffels), qui exerçaient d’ailleurs souvent par l’intermédiaire de valets.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir un chevalier, Jean de Sainte-Aldegonde, mayeur de la Hanse en 1289 et 1297, ou son frère Antoine, mayeur de la Hanse en 1305. Ou encore noble Baude de Le Deverne, seigneur d’Andrenne, hansé en 1336.

Les principales familles patriciennes de la ville, qui dominent l’échevinage au Moyen Âge, se retrouvent dans les listes de la Hanse. Ces sont les Sainte-Aldegonde, les Wasselin, les de Le Deverne, les Bouloigne, les Wissoc etc. dont Alain Derville a étudié les premières générations et leur participation dans l’activité économique et politique de la cité.

On trouve aussi des noms plus lointains, originaires d’Arras, de Gravelines, de Bergues, d’Aire, de Boulogne et d’autres villes d’Artois et de Flandre,  ainsi que des Anglais et des Ecossais.

Bien sûr, le caractère élitiste de la Hanse n’a pas été sans susciter le mécontentement des artisans et marchands plus modestes non membres de la Hanse, qui se voyaient empêchés de développer leur commerce autant qu’ils le souhaitaient : ainsi, lors de la « révolution urbaine » de 1306, au cours de laquelle le « commun » de Saint-Omer réussit à obtenir de la comtesse Mahaut d’Artois le remplacement des anciens échevins patriciens (accusés de toutes sortes d’abus) par un nouvel échevinage de tendance démocratique, ces derniers réussirent à obtenir également la suspension de la Hanse (25 mai 1306). Mais, les anciens échevins ayant réussi par d’habiles manœuvres à reconquérir quelques sièges scabinaux en 1312, cet échevinage « réactionnaire » se dépêcha de demander, et d’obtenir, de la comtesse Mahaut le rétablissement de la Hanse (acte de janvier 1312).

Il ne faut pas, pour autant, accuser la Hanse d’immobilisme social : comme le précise à juste titre C. Wyffels, « la hanse se renouvelait constamment ». Certaines familles puissantes se sont éteintes ou ont quitté le commerce pour d’autres destinées (hommes de guerre), tandis que de nouvelles enrichies ont pris leurs places : « tous ceux qui jouissent de quelque aisance peuvent courir leur chance ». Les listes de la Hanse révèlent aussi des centaines de noms isolés, familles inscrites sans lendemain, pour la majorité issues du milieu des gens de métier, c’est-à-dire des artisans, des hommes modestes qui renonçaient à leur activité pour tenter leur chance dans le grand commerce.

A la tête de cette organisation se trouvaient deux chefs, renouvelés chaque année, improprement nommés receveurs de la Hanse par Deschamps de Pas en 1855 : il s’agit des doyens, mayeurs ou comtes de la Hanse (« hansegraaf » dans les hanses flamandes), termes utilisés indifféremment. Au XIVe siècle ils étaient nommés par les échevins ; ils étaient d’importants personnages, généralement d’anciens ou futurs échevins.

Après près de deux siècles d’intense activité, la Hanse de Saint-Omer amorça son déclin dans la deuxième moitié du XIVe siècle, sur fond de ralentissement économique et de diminution de la population (peste noire 1347-1352). Déjà, depuis 1335, des facilités de paiement du droit d’entrée avaient été introduites, pour ne pas décourager les candidats les plus modestes, tandis que pendant la période 1373-1383 aucun mayeur ne fut nommé. Il y eut encore quelques admissions dans les premières décennies du XVe siècle, puis aucune après 1446. D’après Deschamps de Pas, la Hanse se transforma ensuite en une simple communauté de marchands, connue sous le nom de confrérie de Saint-Nicolas.

Références bibliographiques :

  • Bulletins de la Société des Antiquaires de la Morinie, vol. 1, 13e livraison, Saint-Omer, 1855, pp. 49-60 : « Note sur un manuscrit relatif à la Hanse de Saint-Omer », par M. L. Deschamps de Pas (lire en lignestatuts de la Hanseliste des mayeurs de la Hanse)
  • Carlos Wyffels, Hanse, Grands Marchands et Patriciens de Saint-Omer, Mémoires de la Société académique des antiquaires de la Morinie, tome 38, partie 1, Saint-Omer, 1963 (75 pages) – Ce fascicule très complet contient une transcription des noms de toutes les admissions à la Hanse de sa fondation jusqu’à l’année 1305.
  • Alain Derville, Saint-Omer des origines au début du XIVe siècle, Presses Universitaires du Septentrion, Lille, 1995, pp. 119-121 (publication de la thèse soutenue par l’auteur en 1971)
  • Alain Derville, Le nombre d’habitants des villes de l’Artois et de Flandre Wallonne (1300-1450), in « Revue du Nord », année 1983, 257, pp. 277-299 (lire en ligne)

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